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Histoire

Pétra

perle du désert

Un cadre de solitude et de feu

  Des steppes de Syrie aux monts du Zagros en Iran, des profondeurs de l’Arabie au Sinaï biblique, le désert règne en maître. Quantités de voyageurs y ont vu leurs os blanchir. Même les tribus hébraïques de l’Exode s’y perdirent au risque de chambouler toute la suite de l’histoire. Une ancienne tradition arabe nous révèle que, parvenu dans les montagnes bordant le Wadi Arabah, Moïse y fit jaillir une source d’eau vive en frappant une pierre d’un bâton. Le miracle de la vie en plein cœur du désert commençait à prendre forme en un lieu que les Grecs nommeront plus tard « Pétra » signifiant « pierre » dans leur langue. Le village de Wadi Moussa, très proche du site archéologique de Pétra rappelle aussi les premiers temps bibliques. La sœur de Moïse, Myriam y posséderait son tombeau…

  La cité caravanière de Pétra fut fondée au 6ème siècle avant JC par les Nabatéens, peuple sémitique nomade qui organisa un vaste empire commercial s’étendant du désert de Syrie aux oasis saoudiennes. Leur richesse s’explique par leur maîtrise des routes commerciales locales où transitaient divers trafics : des épices et de la soie en provenance d’Inde, de l’ivoire en provenance d’Afrique, des perles de la mer rouge ainsi que de la myrrhe et l’encens venus du sud de l’Arabie. Ce dernier produit générait des profits considérables car perçu comme un médicament efficace. De plus, nombre de religions le considéraient comme indispensables à leurs cérémonies. La richesse issue du trafic permit aux Nabatéens d’offrir à l’humanité une perle du désert unique.

  Nombre de souverains voisins tentèrent de s’emparer de ce lucratif trafic : le souverain séleucide Antigone le borgne (384-301 avt JC) en 312 avt JC, le général romain Pompée (106-48 avt JC) durant sa campagne en Orient (65-62 av. JC), le roi juif Hérode (73-4 avt JC) en 31 av. JC… Protégé par un environnement hostile, les Nabatéens surent longtemps préserver leur indépendance. Ils ne furent finalement occupés qu’en 106 ap. JC par les légions de l’empereur romain Trajan (53-117 ap. JC)1. En tant que grand bâtisseur, le « peuple de la louve » ne pouvait manquer de laisser son empreinte sur la ville. Un arc de triomphe fut ainsi édifié à l’entrée du défilé menant au cœur de la ville, le théâtre fut considérablement agrandi, la rue à colonnade fut pavée…

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Ainsi parée, la cité du désert put accueillir dignement l’empereur romain Hadrien (117-138 ap. JC) qui la visita en 131 ap. JC. La ville amorça un irrémédiable déclin à partir du milieu du IIème siècle du fait d’une modification de l’emplacement des routes caravanières de plus en plus déviées vers l’Egypte suite à une décision politique romaine. Le violent tremblement de terre du 19 mai 363 apr. JC accru encore le déclin de la ville.

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  L’évêque de Jérusalem de l’époque et Père de l’Eglise, Cyrille (315-386 ap. JC), dira que près de la moitié de la cité avait été détruit. Du fait de l’affaiblissement financier, les destructions ne furent pas rebâties et la cité se vida peu à peu malgré sa promotion au rang d’évêché grâce à l’arrivée de la foi chrétienne à partir de 350 ap. JC. Ainsi, à partir du milieu du Vème siècle après JC, la tombe de l’urne semble avoir été promue

au rang de cathédrale. Il s’agissait d’un réemploi car ce tombeau avait été celui d’un puissant souverain nabatéen : Malichos II (40-70 ap. JC) ou moins vraisemblablement d’Arétas IV (9 av. JC-40 ap. JC). Trois autres édifices religieux chrétiens furent également relevés. Le plus impressionnant dit « église rouge » ne fut mis à jour qu’en 1990 par une équipe d’archéologues américains qui y découvrit trois ans plus tard 140 papyrus renfermant des documents juridiques d’une riche famille locale du VIème siècle de notre ère (testaments, contrats de ventes, reçus de paiement…).

Ce bâtiment renferme de magnifiques pavements en mosaïques de couleurs datant de l’époque byzantine (du Vème au VIIème siècle ap. JC). Quant à l’immense tombe du « Monastère » (le « Deir »), de nombreuses croix peintes sur ses parois attestent de sa transformation en église. Quand l’Islam parvint dans ces contrées dans les années 640 de notre ère, Pétra n’étaient déjà plus qu’un modeste village. Au XIIème siècle, les croisés y bâtirent un avant poste fortifié afin de protéger leur immense château de Shawbak situé à 30 kms de distance. Pétra faisait alors partie de la Seigneurie d’Outre-Jourdain créée par Romain du Puy avec le soutien du roi de Jérusalem, Baudouin de Boulogne (1065-1118).

Pétra devenu simple hameau resta entre les mains des croisés jusqu’au désastre de Hattin (1187) qui vit la victoire de Saladin (1138-1193) et sa reconquête de toute la région. Les chroniques du sultan mamelouk d’Egypte entre 1260 et 1277, Baïbars, évoque Pétra une ultime fois puis la cité tombe complètement dans l’oubli. Seuls quelques farouches bédouins continuèrent à en arpenter épisodiquement les rues désormais désertes. En 1812, l’explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt (1784-1817) redécouvrit presque fortuitement la « perle du désert ». Il ne put cependant s’y attarder du fait de la présence jalouse des Bédouins se méfiant de cet étranger à la peau claire. Cependant, l’essentiel était accompli : Pétra pouvait commencer à reprendre toute sa place dans le grand livre de l’humanité matérialisée par son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco le 6 décembre 1985.

Vers l’enchantement

Pour le voyageur contemporain, « unique » est le premier mot qui vient à l’esprit quand au détour d’un dédale rocheux, il découvre « le trésor » au milieu d’une faille naturelle, temple énigmatique dédié au génie humain.

L’aventure commence quand la quête de la beauté nous mène entre deux falaises abruptes aux parois de plus de 80 mètres dont les nuances changent au fur et à mesure de l’avancée du jour. Ce panorama enserre une gorge étroite s’infiltrant dans un plateau sur plus d’un km : le Siq (défilé en arabe). La gorge entaille une formation gréseuse venue des fins fonds de l’ère primaire et âgée de plus de 400 millions d’années. Ces grès érodés par les tempêtes de sable oscillent entre les tons noirs, rouges, violets, jaunes et blancs contribuant ainsi à la magie d’un lieu prenant parfois des allures ruiniformes.

La découverte de Pétra se mérite au prix d’une intrépide avancée au sein de la terre mère. L’initié désire profiter de tous les dédales rocheux en les parcourant à pieds. Les moins téméraires pourront louer calèches, ânes voire chameaux aux regards si méprisants pour ses maîtres.

  Seul vestige humain mais de taille : la présence d’un aqueduc creusé dans la roche qui serpente à mi hauteur du chemin et nous accompagne dans une marche quasi-initiatique. Cette conduite hydrique en pente douce mène une source vers la cité de Pétra. Après les chaleurs du désert, ce ruissellement ombragé offrant sa fraîcheur devait apparaître aux marchands exténués comme l’annonce de moments bénis voire quasi paradisiaques. Les installations de collecte d’eau sont également encore visibles de nos jours : aqueducs, barrages, réservoirs, citernes souterraines au nombre de plus de 200 dont les plus grandes se trouvent au sommet du mont Umm-Al-Biyyara (« mère des citernes » en arabe). L’abondance hydrique de la ville est attestée par le géographe antique Strabon (57 av. JC-25 ap. JC). Cette richesse exceptionnelle au sein du désert d’Arabie permettait quantités d’activités agricoles s’écoulant en terrasses le long des collines entourant la ville même de Pétra qui s’épanouissait à la sortie du Siq. L’orge, le blé mais aussi des arbres fruitiers et de la vigne prospéraient. De nombreux pressoirs ont ainsi été découverts sur le site de la « perle du désert ». Ses activités agricoles permises par une maîtrise exceptionnelle de l’eau était essentielles pour ravitailler une population estimée entre 20 et 30 000 habitants à l’époque de l’âge d’or de la ville vers 50 ap. JC.

  Après s’être rétréci et assombri, le Siq s’entrouvre enfin pour nous dévoiler la façade rose de l’un des monuments les plus grandioses du génie humain : « le Trésor » (Al-Khazneh en arabe). 30 mètres de haut, 43 mètres de large bâti directement dans la roche d’une falaise déjà impressionnante par elle-même. Il s’agissait alors d’honorer un roi nabatéen du début du Ier siècle de notre ère. La plupart des archéologues pensent qu’il s’agirait du tombeau du souverain Aréthas IV (9 av. JC-40 ap. JC). Par son gigantisme, la façade frappe le voyageur au sortir de l’étroit défilé duquel il émerge à peine. L’architecture du « Trésor » aux canons typiquement hellénistiques, noyée au milieu du désert d’Arabie, nous plonge immanquablement dans le rôle de Burckhardt ressuscitant une civilisation perdue. Chapiteaux corinthiens, frontons, cornes d’abondance, victoires ailées rappellent l’influence culturelle gréco-romaine sur la région.

Le nom complet de cet immense bâtiment est « trésor du pharaon » car les bédouins ombrageux qui furent les seuls à en hanter les lieux durant des siècles pensaient que l’urne funéraire située en haut de la façade contenait un important trésor. Leur tentative (infructueuse) pour l’ouvrir renforce l’image mystérieuse du lieu. Poussé par l’amour du beau, le voyageur ne peut que s’infiltrer, presque silencieusement, au sein de cet antre longtemps caché. Au premier abord, les murs internes apparaissent comme peints de couleurs ondoyantes. Une fois habitué à la pénombre, le visiteur le moins pressé découvre alors que le spectacle coloré qui le ravit n’est pas de mains d’hommes mais est l’un des multiples cadeaux offerts par la nature à une humanité souvent ingrate. Les vagues colorées sont le fruit de diverses teintes rocheuses dont les reflets vont varier tout au long de la journée en fonction de l’intensité lumineuse pénétrant dans ce qui fut un tombeau. A partir du « Trésor », le Siq s’élargit pour mieux nous offrir une multitude de tombeaux aux architectures diverses qui nous conduisent ensuite peu à peu dans la ville marchande de Pétra.

Pétra, la mystérieuse

  Après cette mise en bouche de haute lignée, le reste du site pourrait nous décevoir. Il n’en est rien. L’enchantement continue à être le compagnon de chaque voyageur. S’approprier les lieux dans leur totalité nécessite cependant une âme bien trempée car immensité, chaleur et escalade accompagnent l’apprenti Indiana Jones désormais soucieux de ne rien rater du pullulement de richesses. Après « le Trésor », une longue ascension de plus de 800 marches révèle le monastère Ad-Deir. Ce gigantesque monument troglodytique fut bâti dans le but d’honorer le souverain nabatéen Obodas Ier (96-85 avt JC) qui, en 85 av. JC, remporta une victoire importante contre le roi séleucide Antiochos XII (87-84 avt JC)1. Un tel succès lui valut déification donnant lieu à un culte personnel. Cela méritait bien la réalisation De ce temple colossale et isolé taillé dans un grès jaune siégeant sur une plate forme d’où l’on découvre un magnifique panorama sur le Wadi Araba situé au fond d’un gouffre impressionnant. Le Deir rappelle le « Trésor » mais se veut à la fois plus sobre et plus imposant. Sa façade massive de 48 mètres de large suscite respect du voyageur courageux ayant bravé la lente ascension.

1 Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, XIII, 99-102.

En tout, le site renferme plus de 500 monuments nous offrant motifs géométriques et bestiaire animal des plus riches. Pour l’immense majorité des archéologues, la plupart de ces constructions sont des tombes. Parvenues jusqu’à nous vides, elles ne manquent pas de soulever quantités d’interrogation voire de fantasmes dans l’esprit des Indiana Jones sommeillant en chacun d’entre nous. Les maisons de la ville sont tout aussi énigmatiques puisque non parvenues jusqu’à nous. Le déclin commercial de la « perle du désert » couplé à plusieurs séismes eurent raison des lieux domestiques construits souvent en matériaux légers tels l’argile séchée. Secousses telluriques, fuite d’un site appauvri par l’évolution des routes commerciales et tempêtes de sables détruisirent peu à peu les humbles lieux de vie.

Les tombes, elles, sont restées offrant aux voyageurs quelques sentiments de sacrilèges quand ils s’y aventurent avec un mélange de délectation et d’inquiétude. Nombre d’entre elles semblent aussi avoir été des lieux cultuels où la présence de bicliniums ou de tricliniums, lits face à face dans l’entrée, laisse imaginer la réalisation de banquets funéraires. Quantités de tombes furent réalisées sous le règne d’Obodas III (30 à 9 av. JC) à un moment où la prospérité de Pétra lui donnait l’audace de faire échouer une tentative de conquête de l’Arabie du Sud (Yémen) menée par le préfet romain d’Egypte, Gaius Aelius Gallus, expédition survenue entre 27 et 25 avant notre ère. La nécropole royale a été creusée aux pieds de la falaise d’Al-Khubtha qui accueille également la plus longue façade de Pétra, le tombeau palais dont la façade semble désireuse d’imiter celle d’un palais romain. Diodore de Sicile (historien grec du Ier siècle avant notre ère) nous révèle que les Nabatéens enterraient leurs morts et ne les incinéraient pas1. En ce cas un mystère rôde : où sont les cadavres ? Sur un nombre aussi considérable de tombeaux, est-il possible qu’ils aient tous disparu victimes de différents pillages ? Si Diodore de Sicile a dit vrai et en l’absence de tout restes post-mortem, certains en arrivent à la conclusion que ses monuments n’étaient que des cénotaphes où des cérémonies cultuelles familiales étaient pratiquées. Si tel est le cas, la nécropole réelle reste à découvrir…

1 Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, livre II, ch. 48.

  Signe d’une intense vie culturelle, un théâtre de 3 à 6 000 places trône au milieu de ce qui fut la ville dont l’enrichissement permit la réalisation de temples, de multiples obélisques (entre autre dans le Wadi al-Mahfour) ainsi que d’autels de sacrifices pratiqués en plein air dont le site le plus impressionnant se trouve au sommet du djebel al-Madhbah. Les croyances nabatéennes constituaient un syncrétisme original qui vit des divinités sémitiques être peu à peu associées à celles du panthéon gréco-romain. La déesse Allat fut ainsi associée à Athéna tandis que Dushara, patron de l’Etat nabatéen été associé à Zeus. Son édifice cultuel dit « palais de la jeune fille » est parvenu jusqu’à nous. Le rapprochement d’Al-Uzza avec la déesse égyptienne Isis atteste aussi de quelques liens avec la terre des pharaons.

Par contre à la différence des cultures méditerranéennes, de nombreuses représentations de divinités ne sont que très peu anthropomorphisées. Se peut-il que les Nabatéens aient été influencés par le troisième des 10 commandements : « tu ne feras point d’image taillée »1. Elles étaient adorées sous forme de bétyles qui sont des pierres rectangulaires levées qui peuvent s’observer dès le Siq attestant d’une volonté d’offrir une protection surnaturelle à la « perle du désert ». Quant à l’âme des défunts, elle est représentée par des monolithes dressés de forme pyramidale appelés nefesh.

Le violent tremblement de terre de 363 ap. JC accéléra un déclin entamé depuis plus d’un siècle. La ville basse fut alors peu à peu abandonnée. La rue à colonnade d’époque romaine que les archéologues contemporains reconstruisent peu à peu atteste pourtant du grand nombre de boutiques qui s’y abritaient durant l’âge d’or de la ville au Ier siècle ap. JC. Les fouilles du palais royal et du temple aux lions ailés nous permettre de connaître peu à peu davantage la réalité de cette civilisation longtemps perdue. En 700 ap. JC, la ville n’était plus qu’un simple village. L’arrivée des croisées au 12ème siècle ne changera rien à son irrémédiable déclin malgré la construction des forteresses Al-Habis et Al-Wueira.

Sur le site, des artisans de la ville de Wadi Moussa et des bédouins apportent une animation bon enfant en proposant des éléments de l’artisanat local : poteries, bijoux et bouteilles aux sables multicolores. Un moyen de poursuivre (modestement) l’enchantement à son retour d’un tel voyage. Deux musées : le musée archéologique de Pétra et le musée de la civilisation nabatéenne offrent également aux touristes un panorama du passé glorieux de la ville. Les voyageurs les plus impressionnés par le site s’y rendent pour continuer à faire vivre en eux la magie du site. Pour les plus passionnés, un ultime bonus : partir des musées pour se rendre à pieds jusqu’au mont Aaron (dans la chaîne du Sharah) au sommet duquel le sultan mamelouk Al Nasir Muhammad (1299-1340) fonda un tombeau en l’honneur du frère de Moïse. Quelques heures de routes pour poursuivre une véritable quête initiatique…

 

 

Texte : Franck Duhautoy

(Varsovie, avril 2009)

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1 Ammien Marcellin, Histoire de Rome, XIV, 8, 13.

2 Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, XIII, 99-102.

3 Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, livre II, ch. 48.

4 Exode, 20, 4.

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